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Dakar, Sénégal - Pour réduire les grossesses précoces dont plus de 5 000 cas ont été enregistrés en milieu scolaire en 2012-2013, la campagne « Zéro grossesse à l’école» a été lancée par le gouvernement ivoirien en 2014. Combinant plusieurs volets, notamment l’éducation sexuelle complète et l’accès à la contraception, cette campagne a permis d’enregistrer en un an une réduction des grossesses d’élèves de 20,5 pour cent, soit 1 041 cas de moins que l’année précédente. L’effort doit être soutenu et amplifié car trop de jeunes filles restent vulnérables.

« Quand j’ai su que j’étais enceinte, j’en ai parlé à une camarade de classe, pas à mes parents ni à mes professeurs. Le garçon ne voulait pas du bébé mais il l’a reconnu par la suite. Mes parents étaient très énervés et n’ont pas été tendres avec moi, ils m’ont rejetée ». Ces propos sont d’Amina, âgée de 18 ans, élève en classe de troisième au Lycée Henri Konan Bédié de Daoukro, une petite ville située à un peu plus de 260 kilomètres au nord d’Abidjan la capitale de la Côte d’Ivoire.

Amina a du mal à parler de sa situation. Sa voix est un murmure pendant qu’elle gratte, avec ses ongles, la table-banc où elle est assise. Elle arrête parfois de parler, son regard fixe alors le tableau noir de la salle de classe. Par timidité, elle baisse la tête à chaque question et pour répondre, son regard se perd entre ses doigts mobiles et le tableau.

« J’étais malheureuse. J’ai habité chez l’une de mes tantes jusqu’à mon accouchement. C’est après que j’ai pu repartir à la maison. Ma maman s’occupe de mon bébé quand je viens à l’école. Elle lui a donné le sein en même temps que ma plus jeune sœur », continue Amina.

Amina est tombée enceinte à l’école. Une surprise qu’elle dit ne pas vouloir renouveler tant cela a bouleversé sa vie. « Les grossesses à l’école, ce n’est pas bon. Je dirai à mes amies de ne pas faire comme moi parce que j’ai souffert et je me suis sentie seule. Ma tante qui m’a hébergée m’a dit de me protéger et de m’abstenir. Je préfère m’abstenir », ajoute-t-elle.

Quand on lui demande pourquoi elle n’a pas utilisé de moyens contraceptifs, sa réponse est claire, « je n’ai pas pris de contraceptifs parce que ma maman m’a dit que cela peut rendre stérile ».

Avec également une grossesse à l’école, le parcours de Clarissa, 22 ans, diffère de celui d’Amina. Actuellement en classe de première, elle vient de Bouaké, à quelques 165 kilomètres de Daoukro.

« Je suis venue vivre chez mon oncle pour pouvoir aller à l’école. Il n’a pas les moyens et mes parents sont loin. J’ai dû choisir un camarade de classe pour subvenir à mes besoins. Et je suis tombée enceinte de lui », raconte Clarissa. Elle continue : « Je suis retournée à Bouaké pendant les grandes vacances. Mon ventre a commencé à grossir. A mon retour à Daoukro, j’ai déposé un certificat de grossesse à l’école lors de la rentrée scolaire ».

« J’ai caché le nom de mon partenaire parce qu’il était sous la tutelle d’une de ses sœurs qui avait menacé de lui couper les vivres au moindre écart. Mes parents se sont donc occupés de moi et j’ai accouché. J’ai sevré mon enfant à 6 mois et l’ai laissé au village où ma maman s’occupe de lui », explique toujours Clarissa.

Tomber enceinte à l’école n’est pas une situation de tout repos 
« C’est difficile d’être enceinte à l’école car on ne peut pas se concentrer. J’ai perdu une année scolaire. Je veux devenir professeur de philosophie et j’ai amélioré mes notes pour cela. Si c’était à refaire, je ne le referais pas » avoue Clarissa en souriant.

Clarissa et Amina font partie de ces milliers d’élèves du primaire et du secondaire qui tombent enceintes en Côte d’Ivoire chaque année. Bien qu’elles aient la possibilité de parler de leur sexualité dans les infirmeries scolaires, les idées reçues persistent. Notamment sur les supposés effets de la contraception ou encore sur la capacité de procréer. En effet, Clarissa explique que dans certains milieux, les jeunes filles se racontent entre elles que ne pas avoir son premier rapport sexuel ou ne pas tomber enceinte vers 15-16 ans « est un problème ».

Selon M. Assoumou Kabran, Directeur de cabinet du ministère de l’Education nationale et de l’Enseignement technique (MENET), l’ampleur des grossesses à l’école était telle que le ministère a décidé de prendre des mesures avec l’aide de l’UNFPA, le Fonds des Nations Unies pour la population. « Un seul cas de grossesse est désastreux et chaque enfant est un destin », tel est le credo du MENET. La bonne nouvelle est que désormais aucune fille n’est renvoyée de l’école parce qu’elle est enceinte.

Selon les estimations, les auteurs des grossesses à l’école sont des enseignants pour 4 pour cent – ils encourent des sanctions –des élèves pour 40 pour cent et des personnes extérieures à l’école, comme les vendeurs ambulants et les boutiquiers, pour 56 pour cent.

La campagne « Zéro grossesse à l’école » repose sur trois piliers : l’éducation sexuelle complète, l’accès à l’offre de services en santé de la reproduction au sein des établissements scolaires et l’existence d’un groupe technique de travail.

L’éducation sexuelle permet aux élèves d’apprendre à connaître leur corps et à éviter les maladies liées à une vie sexuelle active. Des outils adaptés aux élèves ont ainsi été développés. Il s’agit de fiches portant sur : les grossesses précoces et la communication parents/élèves ; les infections sexuellement transmissibles, le VIH/Sida et les facteurs de vulnérabilité ; les violences basées sur le genre et les mariages précoces ; les méthodes de contraception moderne et les droits des jeunes à une sexualité épanouie. Avec 4 fiches pour chaque niveau scolaire, les élèves bénéficient de huit heures de cours par an.

Les autorités vont numériser ces cours et les rendre interactifs avec des vidéos intégrées. Pour cela, certaines écoles seront équipées d’appareils numériques ; pour les autres, une version PowerPoint en cours d’élaboration sera disponible. Les enseignants seront formés à l’utilisation de ces fiches comme ils l’ont été pour la version en papier.

L’UNFPA a également aidé à ouvrir un centre d’appels doté d’une ligne verte gratuite et confidentielle logé au MENET à Abidjan, en juin 2014. Les opérateurs et opératrices formées répondent à plus de 200 appels quotidiens de toutes les régions du pays. Ce sont les 11-18 ans qui appellent le plus, avec une grande majorité de garçons.

En outre, 88 pour cent des centres de santé scolaires et universitaires fournissent des services de planification familiale, y compris des contraceptifs.

Rapprocher les établissements scolaires des élèves 
« On trouve parfois entre 10 000 et 15 000 élèves dans une ville. Comme ils viennent d’ailleurs, ils doivent se loger. Des garçons et des filles peuvent ainsi partager la même chambre », s’inquiète M. Assoumou Kabran. « Les filles sont plus vulnérables que les garçons et nous devons investir dans l’éducation pour leur permettre de mieux vivre », continue M. Kabran. Le gouvernement va donc construire des écoles proches des élèves et des lycées de filles dotés d’internat.

La famille aussi contribue également au phénomène des grossesses à l’école en favorisant le mariage précoce pour diverses raisons. C’est pourquoi le gouvernement a pris des mesures pour que tous les enfants puissent aller à l’école en rendant l’école obligatoire de 6 à 16 ans dès la prochaine rentrée scolaire. Cette décision a, pour la première fois, été annoncée par le président Alassane Dramane Ouattara en septembre 2014 à New York alors qu’il prenait part, avec ses homologues du Niger et du Tchad, à la session de haut niveau sur la réalisation du dividende démographique dans le Sahel, en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies.

Il s’agit de donner une éducation à tous les jeunes et de garder les filles à l’école en vue de récolter dans quelques années les bénéfices du dividende démographique.

En effet, le pays veut œuvrer à la réalisation de son dividende démographique comme l’a rappelé Albert Toikeusse Mabri, ministre d’Etat chargé Plan et du développement, organisateur des consultations nationales sur le dividende démographiques en mars 2015, lors de la signature par la Côte d’Ivoire de l’accord de financement du projet d’autonomisation des femmes et de dividende démographique dans le Sahel financé par la Banque mondiale et exécuté par l’UNFPA.

Source. Habibatou Gologo, Spécialiste média, UNFPA WCARO