Pour les couples du monde entier, la Saint-Valentin est l’occasion de célébrer l’amour et le romantisme. Et pourtant, pour des millions d’entre eux, les contes de fées que représentent l’amour et le mariage ne sont pas autre chose que de la simple fiction. Des centaines de millions de femmes et de filles en vie aujourd’hui ont été mariées alors qu’elles n’étaient encore que des enfants. Un grand nombre d’entre elles ont été victimes de violence, contraintes de quitter l’école et poussées à avoir des enfants très jeunes.
Le mariage d’enfants est une tragédie pour les jeunes qu’il touche, souvent les filles les plus vulnérables, les plus pauvres et les plus marginalisées.
Le mariage d’enfants est une tragédie pour les jeunes qu’il touche, souvent les filles les plus vulnérables, les plus pauvres et les plus marginalisées. Ce phénomène gangrène également les communautés et sociétés dans leur ensemble, piégeant les enfants mariées et leur famille dans un cycle de pauvreté pouvant persister d’une génération à l’autre. La fin du mariage d’enfants, qui permettrait aux filles de finir leur scolarité, de retarder l’âge de leur maternité, de trouver un emploi décent et de réaliser leur potentiel, pourrait générer des milliards de dollars en revenus et en productivité, comme le constatent des études.
Cette année, pour la Saint-Valentin, l’UNFPA lance un appel au monde entier pour mettre fin au mariage d’enfants.
Voici une liste de sept faits peu connus sur le mariage d’enfants. Une meilleure prise de conscience du problème, de son omniprésence à travers le monde et de ses conséquences peut aider les dirigeants (et les jeunes eux-mêmes) à mettre fin une fois pour toutes à cette pratique.
1. Le mariage d’enfants est fréquent. C’est un phénomène qui a lieu aux quatre coins du monde.
Plus de 650 millions de femmes et de filles en vie aujourd’hui ont été mariées avant leur 18e anniversaire. À l’échelle mondiale, 21 % des jeunes femmes âgées de 20 et 24 ans étaient des filles-épouses. Le mariage d’enfants a également lieu dans les pays à revenu élevé.
On retrouve partout dans le monde des exemples de cette pratique néfaste.
Au Nicaragua par exemple, Irayda s’est enfuie de chez elle, un foyer où régnait la violence, pour se marier à l’âge de 14 ans. « J’étais enceinte avant même de fêter mes 15 ans », a-t-elle expliqué à l’UNFPA. Comme c’est souvent le cas dans ce genre de situations, ses responsabilités d’épouse et de mère l’ont éloignée des bancs de l’école, réduisant les perspectives d’avenir pour elle et sa fille. « J’aurais aimé ne pas abandonner l’école et continuer les cours », a-t-elle confié.
Partout dans le monde, des activistes luttent également contre cette pratique, malgré la résistance qu’ils rencontrent. En Macédoine du Nord, l’association de Nesime Salioska a fait rompre les fiançailles d’une jeune fille de 16 ans et de l’homme adulte qui était le père de son bébé. Elle a eu gain de cause après un combat difficile, de nombreux représentants des autorités refusant d’intervenir. « L’idée répandue, c’est que ces unions font partie des traditions et qu’ils n’ont pas à s’y interposer, » a expliqué Nesime Salioska. « Nous avons empêché le vol d’une vie », conclut-elle.
2. Malgré des progrès incontestables, les avancées restent insuffisantes.
Commençons par la bonne nouvelle : le taux mondial de mariage d’enfants tend à diminuer. Dans les années 2000, une femme sur trois entre l’âge de 20 et 24 ans avait été mariée, étant encore enfant. En 2017, ce chiffre dépassait tout juste une femme sur cinq. C’est en Asie du Sud, là où l’on trouve le plus grand nombre de filles-épouses, que l’on constate quelques-uns des progrès les plus spectaculaires. Dans cette région, en l’espace de dix ans seulement, le risque qu’une fille se marie avant l’âge de 18 ans a reculé de plus d’un tiers, grâce aux investissements réalisés dans l’éducation et la protection sociale des filles.
Des zones d’amélioration sont toutefois constatées : il est impératif d’accélérer ces efforts, autrement les progrès réalisés dans la baisse du nombre de filles mariées alors qu’elles ne sont que des enfants risquent d’être annulés par l’allure de la croissance démographique. Aujourd’hui, la croissance démographique la plus forte s’observe dans les mêmes régions que celles où le mariage d’enfants demeure répandu, comme l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. Dans d’autres régions telles que l’Amérique latine et les Caraïbes, cela fait des dizaines d’années que le taux du mariage d’enfants reste stable. Si des efforts ne sont pas déployés de toute urgence, il y a de fortes chances que le nombre de mariages d’enfants augmente d’ici à 2030.
3. Étonnamment, les initiatives visant à mettre fin au mariage d’enfants n’exigent pas de grands moyens financiers.
Les solutions sont simples et abordables. En novembre 2019, l’UNFPA a publié une étude conjointe avec l’Université Johns Hopkins, en collaboration avec l’Université de Victoria, l’Université de Washington et Avenir Health, estimant le coût de l’éradication du mariage d’enfants dans 68 pays où se produisent près de 90 % de ces mariages. Les chercheurs ont conclu que le coût de l’éradication du mariage d’enfants dans ces pays d’ici à 2030 s’élèverait à seulement 35 milliards de dollars.
Autrement dit, il faut compter environ 600 dollars pour faire annuler le mariage d’une enfant, soit le prix d’une seule nuit dans un hôtel de luxe.
Cet investissement de 35 milliards de dollars (dans des interventions éducatives, des initiatives d’autonomisation et des programmes visant à transformer les normes sociales relatives à l’union d’enfants) permettrait d’éviter environ 58 millions mariages d’enfants. Qui plus est, les filles qui échappent au mariage précoce seront en mesure « d’apporter une contribution plus productive à l’économie familiale », ce qui se traduira par d’importants effets bénéfiques pour leur communauté sur la durée.
4. Le mariage d’enfants concerne tant les garçons que les filles, mais ce sont ces dernières qui sont les plus touchées.
Il arrive aussi que des garçons soient mariés avant leur majorité. Les chiffres de l’UNFPA dans 82 pays à niveau de revenu faible ou intermédiaire révèlent qu’un garçon sur 25 (soit 3,8 % des garçons) se marie avant ses 18 ans.
« Je n’étais qu’un enfant », a récemment confié un Yéménite, interrogé par l’UNFPA sur son mariage alors qu’il n’avait que 16 ans. Sa femme avait 13 ans. « Je ne pouvais pas prendre mes propres décisions », explique-t-il. « Mon père m’a donné l’ordre de me marier, et je lui ai obéi. »
Le mariage à un âge aussi précoce oblige ces jeunes à devenir des adultes avant qu’ils ne soient prêts. Tous ces enfants qui se trouvent dans de telles situations précaires sont moins à même de faire valoir leurs intérêts et sont exposés à la maltraitance et à l’exploitation.
Les ravages du mariage d’enfants touchent, malgré tout, beaucoup plus fréquemment les filles que les garçons. Des études révèlent que les enfants mariées sont particulièrement exposées à la violence, notamment de la part de leur conjoint, de leur belle-famille voire de leur propre famille.
En Ouganda, la jeune Abura*, âgée de 15 ans, refusa d’épouser l’homme que son père avait choisi pour elle. Son père et son frère la battirent avant de l’enfermer en compagnie de son époux, qui la viola. La jeune femme réussit à s’enfuir et survécut dans la brousse pendant trois semaines avant de rentrer chez elle, là où son frère la battit à nouveau. Finalement, elle parvint à s’échapper et trouva refuge dans un centre pour victimes de violence.
Les filles mariées sont également plus susceptibles de tomber enceintes avant que leur corps ne soit complètement mature, ce qui augmente les risques de complications graves.
Les filles courent aussi le risque d’être mariées très jeunes. Alors que la majorité des mariages d’enfants concerne les jeunes âgés de 16 et 17 ans, il existe de nombreux pays où il est fréquent de marier les filles avant leur quinzième anniversaire. Chez les garçons, on ne recense pratiquement aucun cas de mariage avant 15 ans (0,3 pour cent).
5. Le mariage d’enfants est interdit presque partout dans le monde.
Deux des accords relatifs aux droits de l’homme les plus largement approuvés au monde, à savoir la Convention relative aux droits de l’enfant (CRC) et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), condamnent le mariage d’enfants. Ensemble, ces traités ont été signés ou ratifiés par tous les pays, excepté un.
Certaines législations nationales permettent néanmoins des interprétations différentes de ce principe reconnu. Beaucoup de pays autorisent des exceptions conformément au droit religieux ou coutumier ou lorsque l’accord parental est donné.
Au Malawi, Bertha fut mariée alors qu’elle n’était qu’une enfant. Dans ce pays, des lois interdisent le mariage d’enfants, mais elles furent longtemps en contradiction avec la Constitution, qui y autorise le mariage avant 18 ans, moyennant consentement parental. La Constitution fut amendée l’année passée pour éliminer cette contradiction.
« J’ai rencontré de graves complications au cours de mon accouchement, car mon corps n’était pas suffisamment développé », a raconté Bertha à l’UNFPA. Aujourd’hui divorcée, elle n’avait que 17 ans à la naissance de sa fille. « De nombreuses filles comme moi veulent aller à l’école au lieu de se marier », ajouta-t-elle.
Même dans les pays où le mariage d’enfant est explicitement interdit, l’application de cette loi peut être un problème. Partout dans le monde, de nombreux mariages d’enfants (et mariages en général) ne sont pas enregistrés légalement.
6. Le mariage d’enfants et la grossesse chez les adolescentes sont étroitement (et dangereusement) liés.
Le mariage d’enfants est souvent précurseur de grossesse précoce. Dans les pays en développement, 90 pour cent des adolescentes qui accouchent sont déjà mariées. Ces grossesses prématurées mettent sérieusement en danger la santé des filles dont le corps n’est pas suffisamment développé pour la maternité. À l’échelle mondiale, les complications liées aux grossesses et aux accouchements constituent la première cause de décès chez les adolescentes.
Ameena, qui habite au Yémen, est tombée enceinte peu de temps après avoir été mariée à l’âge de 15 ans. « Je ne savais pas ce qui m’arrivait pendant ma première grossesse. J’avais l’impression que quelque chose d’effrayant se passait dans mon ventre. Cette grossesse précoce m’a laissé des lésions au niveau de la colonne vertébrale. Je n’étais pas prête à accoucher. Je n’étais pas prête à avoir un mari. Je ne savais même pas ce que signifiait le mariage.
Il arrive que ces blessures soient d’ordre émotionnel, aggravées par la violence dont ces filles ont été victimes. Freshta* est une Afghane qui a souffert d’une grave dépression post-partum, après avoir été mariée, à l’âge de 12 ans, à un homme de plus de 60 ans. « Je suis tombée enceinte et j’ai accouché. Il ne me permettait pas de voir mon bébé, de le prendre dans mes bras, de l’embrasser et de le nourrir », a-t-elle confié à l’UNFPA. « Je voulais mettre fin à mes jours pour échapper à ce calvaire.
Une grossesse précoce fait aussi courir aux filles le risque d’être mariées. Il arrive que les filles soient contraintes de marier le père de leur bébé, et ce, même si elles ont été violées, pour éviter que leur famille ne subisse l’ostracisme associé à la grossesse hors mariage.
Au Kenya, Eunice est tombée enceinte en 2013 et son père a tenté de la forcer à marier le père du bébé. Lorsque celui-ci refusa, le père décida d’épouser sa propre fille. Eunice tenta de s’enfuir, mais elle fut rattrapée. « Ils m’ont rouée de coups... Je n’avais jamais été si violemment battue. J’ai terriblement souffert ; j’ai beaucoup pleuré », confia-t-elle. Lorsque sa mère apprit la tragédie, elle dénonça ces violences à la police.
7. L’émancipation des jeunes filles est essentielle à l’éradication du mariage d’enfants.
Beaucoup de changements s’imposent pour mettre fin au mariage d’enfants et parmi eux le renforcement et l’application des lois contre cette pratique, la défense de l’égalité entre les sexes et l’engagement de la communauté en faveur de la protection des droits des filles. Pour autant, il faut aussi donner des moyens aux jeunes pour qu’ils connaissent leurs droits et les revendiquent. Cela signifie qu’il est impératif de leur donner des informations adéquates sur leur santé sexuelle et reproductive, des chances de s’éduquer et d’acquérir des compétences et des plateformes pour qu’ils participent à la vie communautaire et civique et s’y engagent.
Cela peut sembler anodin, mais des informations et des possibilités comme celles-ci peuvent véritablement changer une vie. Lorsque les jeunes plus vulnérables sont dotés de ces connaissances, ils sont à même de faire valoir leurs intérêts, voire de persuader leur famille d’annuler ou de reporter leurs fiançailles.
L’UNFPA collabore avec des partenaires et des communautés des quatre coins du monde pour éduquer et habiliter les jeunes filles, et pour sensibiliser les collectivités aux dangers du mariage d’enfants.
Beaucoup de ces jeunes filles sont devenues de ferventes défenseuses de leurs droits.
Kabita, une Népalaise âgée de 16 ans, fait partie d’un groupe d’adolescentes recevant l’aide du Programme mondial UNFPA-UNICEF visant à accélérer la lutte contre le mariage d’enfants. « Si j’abandonnais mes études, on me marierait immédiatement », a-t-elle expliqué à l’UNFPA. C’est pourquoi elle est déterminée à rester à l’école. « Un avenir meilleur commence par une éducation », affirme-t-elle.
Le Programme mondial intervient dans 12 pays à forte prévalence de mariage d’enfants. Entre 2016 et 2019, le Programme mondial a permis de renforcer l’autonomie de quelque 7,2 millions de filles et d’atteindre plus de 30 millions de personnes par des messages dans les médias, des dialogues communautaires et d’autres activités de plaidoyer.
En Zambie, les espaces plus sûrs recevant le soutien de l’UNFPA ont permis à Linda de connaître ses droits. « Je sais maintenant que le mariage d’enfants est une pratique néfaste », a-t-elle déclaré lors d’un entretien quand elle avait 12 ans.
Elle a ajouté : « Je vois beaucoup de filles qui se marient tôt et qui ne tardent pas à tomber enceintes ou à contracter le VIH. Ce genre de choses ne devrait pas se produire dans nos communautés, car les filles devraient être à l’école et travailler dur pour devenir des enseignantes, des médecins et des avocates et concrétiser tous les autres objectifs de carrière qu’elles se donnent. »
*Le nom a été changé pour des raisons de sécurité et d'anonymat
Une version de cet article a été publiée le 1er février 2018. Il est réédité avec des mises à jour et de nouvelles données.