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Une foule de femmes aux robes éclatantes se presse en ligne sous le préau du dispensaire de Sahabo, un village à quelques kilomètres à l'ouest de Yamoussoukro, capitale de la  Côte d'Ivoire . Assommées par la chaleur, elles attendent en cherchant l'ombre, un ou deux enfants pendus à leur jupe. C'est la première journée d'une campagne de vaccination contre la  polio .

Profitant de ce que les mères de famille se sont déplacées en nombre, parcourant jusqu'à 7 km à pied de bon matin, le personnel soignant les dirige ensuite vers une sage-femme. Au menu de l'entretien: contraception, suivi des grossesses, dépistage du  VIH … Eliane, une mince jeune femme en longue robe rose, repart avec une boîte gratuite de pilules. À 20 ans, cette mère de deux enfants est sans emploi. Précisément le profil que le ministère de la Santé, avec le soutien financier du  Fonds des Nations unies pour les populations (UNFPA) , cherche à atteindre via cette consultation, au cœur de sa nouvelle politique de santé centrée sur les femmes.

Grossesse à 12 ans

Le système de santé ivoirien est sorti ravagé de la guerre civile de 2011 . Les hôpitaux ont été vandalisés, le personnel s'est dispersé, les médicaments les plus basiques étaient en rupture de stock. Les femmes ont été parmi les plus touchées: alors que le taux de mortalité maternelle avait diminué entre 1994 et 2005 de 597 à 543 décès pour 100.000 naissances, il a atteint 614 en 2012. La même tendance à la hausse a été constatée pour les grossesses chez les adolescentes, l' excision  et les violences faites aux femmes.

Or l'amélioration de la santé des femmes recouvre d'importants enjeux, pas seulement en termes sanitaires, défend l'UNFPA. Dans un pays où la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, les grossesses à répétition entravent le développement professionnel des femmes et leur indépendance financière. Les grossesses précoces, qui ne sont pas rares chez les fillettes de 12 ans, mettent fin à leur scolarité et les exposent à des complications médicales.

Cependant, les experts investis dans le projet se sont vite rendu compte que leur stratégie ne pourrait fonctionner que s'ils mettaient les hommes de leur côté. «Ils détiennent les cordons de la bourse, rappelle Suzanne Maïga Konaté, directrice du bureau de l'UNFPA sur place. S'ils refusent que leur femme accouche à l'hôpital, elle n'ira pas.» De ce constat est née l'une des initiatives les plus innovantes du projet, «l'École des maris». L'idée, expérimentée au Niger, vise à sensibiliser dans les villages une poignée d'hommes sur la contraception et l'importance des soins obstétricaux. Ces bénévoles sillonnent ensuite les environs pour transmettre le message aux autres époux et pères du voisinage et rappeler des gestes aussi simples que la pose d'un préservatif, dans un pays où 3 % de la population est séropositive.

Accouchements médicalisés

Richemond, un barbu élancé de 27 ans, participe avec 11 autres hommes à l'une des quatre premières Écoles des maris lancées l'an dernier en Côte d'Ivoire, dans le village de Djangoménou, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Yamoussoukro. «Avec ma compagne Gisèle, nous avons eu notre premier enfant, une fille, à 18 ans, par accident, raconte le chauffeur de taxi. Depuis, ma femme prend un contraceptif qui nous coûte 1000 francs CFA (1,50 euro) tous les deux mois. Certains de mes amis, ou nos anciens, ne sont pas toujours d'accord avec le planning familial, mais l'École des maris m'a donné des arguments. Je suis au chômage et ma femme ne travaille pas. Nous ne pouvons pas avoir huit ou dix enfants comme les générations précédentes.»

L'initiative semble porter ses fruits. «Depuis 2012, je n'ai enregistré aucun accouchement à domicile, constate le Dr Drissa Koné Tiemegna, médecin-chef du centre médical d'Angoba dont dépend Djangoménou. Avant, elles accouchaient chez elles et ne nous appelaient qu'au dernier moment en cas de problème. Il fallait alors souvent les hospitaliser. Aujourd'hui, j'observe une réelle évolution des mentalités. J'ai même vu des hommes accompagner leur épouse aux consultations.» Dans les villages environnants, le nombre de grossesses précoces a chuté, passant de 11 chez les élèves de primaire et de collège à 2 en l'espace d'un an.

L'UNFPA, qui dispose d'un budget de 6,6 millions d'euros pour la Côte d'Ivoire, met en avant ses bons résultats: en un an, le recours au planning familial a progressé de 12 %, et le nombre d'accouchements médicalisés a été multiplié par six. Mais le chantier reste immense. Seules 14 % des Ivoiriennes sont sous contraception, moitié moins qu'au Ghana voisin. Et le gouvernement consacre moins de 5 % de son budget à la santé quand l'Union africaine recommande 15 %.

Avec l'aimable accord de Pauline Fréour, du Journal Le Figaro

 

Publié le 01/11/2013 par Le Figaro