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Bissau (Guinée-Bissau) Le mariage précoce et forcé en Guinée-Bissau est une pratique courante. Bien qu'il soit interdit, l'application de la loi est encore très difficile. Dans cet article, Judite 14 ans nous raconte son expérience récente en tant que victime d'un mariage forcé et le rôle qu’a joué sa famille dans cette affaire.

Judite Isaquete est une jeune fille de 14 ans originaire du village de Bijmita à Quinahmel, Biombo dans l'ouest de la Guinée-Bissau où vit sa mère. Elle a trois sœurs et deux frères. Son père est décédé lorsqu'elle était très jeune et elle vit, depuis, avec sa tante à Chon di Pepel, dans la capitale Bissau où elle va aussi à l'école.

Elle est venue rencontrer les responsables du bureau UNFPA de la Guinée-Bissau avec le capitaine Bebiana du Département des droits de l’Homme de la police bissau-guinéenne et M. Tonecas Sila, le coordonnateur du programme de l'ONG locale RENLUV, qui aide les enfants victimes de mariages forcés et soutient des actions contre la violence basée sur le genre.

«Tout a commencé il y a un mois. J'étais à une répétition de l'église et un de mes oncles, Fernando, m'a proposé de passer quelques jours chez lui dans la Zona 7 à Bissau.

 
"J'ai dit oui parce que je n'avais jamais passé de vacances dans sa maison. Quelques jours après, j'ai entendu une conversation entre ma tante et mon oncle au cours de laquelle ils ont dit qu'ils allaient me donner en mariage conformément à la décision de mon beau-père au village, » a raconté Judite, la mine triste.
Cette adolescente, qui vient de terminer la classe de 5ième au lycée, a clairement dit à sa tante qui l'hérbege qu'elle ne voulait pas se marier, expliquant qu'il était trop tôt et qu'elle voulait continuer ses études.

« J'ai dit à mon oncle Agostinho la même chose. Il a dit qu'il ne pouvait rien faire pour moi. Ma mère est venue à Bissau pour s'assurer que ma tante m’emmènera à  Bijmita pour le mariage. Elle a dit à ma tante qu’elle devait le faire sinon elle sera maudite," a raconté Judite. En Guinée-Bissau, beaucoup de personnes craignent d'être victime de malédiction pour n’avoir pas respecté la tradition.

Plus tard, la tante a convaincu Judite que tout ce qu’elle avait à faire était d'aller à Bijmita, et de rejeter officiellement la proposition de mariage puis revenir à Bissau.

« Une fois sur place, ma tante s’est rétractée. Cette même nuit, des chèvres et d'autres cadeaux ont été apportés chez nous pour le mariage.

«Ma mère a aussi reçu de l'argent et est allée acheter du savon et un lit. Ma famille m'a habillée pour le mariage. En attendant l’arrivée de mon futur mari, j'ai appelé mon oncle Agostinho au téléphone. J'ai pleuré et lui ai demandé de me sortir de là », dit-elle.

Agostinho a alors secrètement informé la police. "Quelqu'un a eu la gentillesse de me donner de l'argent pour le carburant. Nous avons pris la voiture et sommes allés chercher Judite. Elle s'était enfuie de la maison familiale et nous attendait à Quinhamel, à 30km de Bijmita » , a dit Agostinho.

 
Difficultés pour appliquer la loi et protéger les victimes
La famille a été convoquée au poste de police. Lorsqu’on lui a dit que le mariage forcé était un acte illégal dans le pays, elle a affirmé qu'elle n'avait jamais entendu parler d'une telle loi, soulignant qu'il s'agissait d'une pratique très courante dans le pays. L’oncle Fernando a signé une «Déclaration de responsabilité» indiquant que la famille ne forcera plus Judite à se marier.

Néanmoins, cette même nuit à Bissau la famille est revenue pour Judite. Dès qu'elle a réalisé ce qui se passait, elle s'est à nouveau enfuie. Elle est allée au seul endroit où elle savait qu'elle pourrait être aidée. Elle s'est rendue à la maison du capitaine Bebiana, où elle avait passé la nuit lorsqu'elle avait fui Bijmita.

L'avenir de Judite est maintenant incertain. Il n'existe pas de foyer d'accueil pour les jeunes filles dans son cas. De plus en plus de filles aussi jeunes que Judite quittent leurs maisons pour éviter les mariages forcés. L'ONG RENLUV cherche continuellement des familles d'accueil où ces jeunes peuvent vivre en attendant de trouver  une solution à long terme.

Aussi, le risque que la famille reprenne ces filles pour les emmener dans « leur foyer conjugal »  persiste. Tel est aussi le cas de Judite qui veut  retourner à l'école. Selon Sila de RENLUV , « la ville de Bissau est extrêmement petite. Qui va assurer la sécurité de Judite quand elle est sur son chemin à l'école? Si sa famille sait où elle est , ils vont essayer de l'emmener à nouveau » .

La procédure judiciaire dans cette affaire suivra son cour. La famille sera poursuivie mais ces efforts pour voir les coupables traduits en justice ne portent généralement pas de fruits.

Il existe un besoin urgent de trouver une solution sûre pour les filles qui sont victimes de mariage forcé tel qu’un foyer avec les conditions requises pour leur permettre de poursuivre leurs études pour devenir des femmes qu’elles aspirent à devenir et à atteindre leur plein potentiel.